Sobriété foncière et ville désirable

En 2020, l’association des paysagistes-conseils de l'État est sollicitée par la DGALN pour constituer un groupe de travail en vue d'élaborer un guide de bonnes pratiques en matière de sobriété foncière et de formes urbaines denses. Cette étude s’inscrit dans le cadre de la directive ministérielle zéro artificialisation nette (ZAN) et doit permettre d’aider les services à mieux porter cette directive dans les territoires.

 

Résumé des apports de l'association

La sobriété foncière dans la Loi climat et résilience

La Loi « climat et résilience » du 22 août 2021 apporte des avancées notables en matière de sobriété foncière. 
Elle indique une stratégie claire de réduction de l’artificialisation, introduit des notions de qualité de sol, de qualité urbaine, indique des leviers alternatifs de réemploi du foncier, facilite la régénération des espaces artificialisés en faveur de la nature en ville et, enfin, offre des méthodes de suivi partagées. 
Les contributions soulignent ces avancées, et pointent quelques questionnements ou manques. 
 

Les enjeux du sol vivant 

La sobriété foncière, traduite légalement dans la Loi Climat et résilience prend acte de l’impossibilité d’un développement infini dans un monde, sur un territoire, dont les dimensions et les ressources sont limitées. Elle pose la question d’une gestion plus durable du sol vivant. 
Mais qu’est exactement un sol vivant et à quoi sert-il ?

Le sol vivant est la couche superficielle du sol, d’une épaisseur moyenne d’une trentaine de centimètres, résultant de la transformation naturelle de la roche mère sous-jacente, lors de son contact avec l’atmosphère, sous l'influence de processus physiques, chimiques et biologiques. Le sol vivant est composé d’éléments minéraux, végétaux et d’organismes vivants dont l’activité est à la base de nombreux services essentiels aux sociétés humaines et non-humaines. On peut les classer en trois grands types de fonctions : 
- des fonctions écosystémiques (un quart de la biodiversité de la planète ; capteur de CO2 dont la capacité est estimée à 500 kg de carbone par hectare et par an ; support pour la biodiversité ; régulateur du cycle de l’eau : filtre, infiltration)
- des fonctions économiques (support de production alimentaire, de ressources en bois d’œuvre / papier … ; support de ressources bois énergie / bio-carburant ) 
- des fonctions de bien-être (espaces de nature facteurs de santé publique ; support d’usages et d’agrément, facteur de valorisation).
Le sol vivant a donc une valeur inestimable qui dépasse de loin sa valeur constructive ou agricole. La stratégie de réduction de l’artificialisation des sols devrait chercher à le préserver dans un équilibre quantitatif et qualitatif. 
 

Lutte contre l'étalement urbain versus nature en ville

La sobriété foncière entraîne mathématiquement, à besoin égal de construction, une densification des espaces déjà urbanisés. 
Ces espaces disposant parfois d’un sol vivant et d’un espace naturel d’une grande qualité écologique et paysagère, leur densification risque d’aller à l’encontre des besoins d’espaces de nature en ville, qui la rendent vivable et désirable. Comment alors allier lutte contre l’étalement urbain et préservation de la nature en ville ? 

Ces solutions doivent être évaluées à l’aune de la qualité des sols et de leur capacité à offrir un couvert végétal et un cadre de vie répondant aux besoins et aux aspirations de la population en place et de celle à venir. 
Ces enjeux posent un certain nombre de questions techniques et méthodologiques. Ce qui se joue ici est un changement de méthode complet de planification, d’instruction et d’aménagement des opérations urbaines pour sortir du seul aspect juridique du droit du sol et pour mettre en place une méthode plus complexe qui prend en compte le sol comme une ressource vivante. 
Il est pourtant possible d’offrir à la fois une importante densité construite, en réponse à la demande de logements, de commerces, des services, sans artificialisation nouvelle, tout en préservant la qualité des sols, voire en l’améliorant. Quatre opérations analysées en témoignent :  
- ZAC de Bonne, Grenoble - 38 : Une mixité équilibrée et durable (densification au profit de la moitié des surfaces en espaces verts publics et gestion des eaux pluviales)
- Les Passerelles, Cran-Gervier - 74 : Renforcer la nature par une stratégie triple : préserver, dépolluer, renaturer (reconstruction et dépollution d’une friche industrielle) 
- ZAC des Tartres, Pierrefitte, Stains, Saint-Denis - 93 : La qualité du sol et des usages définit le plan d’aménagement (gestion des terres dans un ancien territoire agricole avec décharge sauvage)
- L’axe central du Campus de Grenoble - 38 : La voirie devenue obsolète : une formidable réserve foncière (rôle du paysagiste conseil dans l’accompagnement de programmes complexes). 
 

La question de l'intensification urbaine
ou de la désidérabilité de la sobriété foncière

Préférer le terme de « ménagement » revendique l'idée qu'il faut davantage ménager et prendre soin des territoires et de leurs habitats, ce qui n'est pas sans rappeler un ouvrage comme le Théâtre d'Agriculture et mesnage des champs (Olivier de Serres,1643) et il s'agirait d'inventer le Théâtre d'Urbanisme et ménagement des villes.
La sobriété foncière est une des conditions sine qua non pour rendre tangible et appropriable ce « ménagement » ; encore faut-il la penser non pas comme une contrainte réglementaire supplémentaire mais davantage comme une opportunité heureuse et désirable pour l'amélioration de l'habitat et du territoire.
En posant comme hypothèse préalable l'intensification urbaine, la sobriété foncière se comprend comme un levier essentiel de sa mise en œuvre et permet de participer à l'élaboration d'une vision et d'un projet dans le temps et dans l'espace capables de répondre au « ménagement » des territoires et de leurs habitats. 
Cette intensification urbaine est à saisir, non pas seulement comme une résolution quantitative de densité urbaine (nombre de logements à l'hectare), mais plutôt par l'intensification de tout ce qui contribue au bon ménagement des territoires, à leur cohérence, habitabilité et durabilité. 

La sobriété foncière s'inscrit alors dans une démarche désirable, celle de ménager un monde vivant et vivable promouvant l'intensification urbaine. 
D'une part, on perçoit que le vécu de la densité ressentie, le droit depuis la Révolution d’être propriétaire d’un morceau de terrain avec le rêve pavillonnaire, la phobie du bétonnage, la peur de la promiscuité, la stigmatisation des grands ensembles, l’inadaptation de certains centres-villes anciens, le désir de nature, etc. sont autant de praxis sociales et culturelles qui s'opposeraient à la promotion d’une ville dense.
Mais d'autre part, l'intensification urbaine peut faire émerger une prise de conscience collective, afin d'interroger les conséquences de cette propension pour la maison individuelle menaçant le ménagement des territoires. Elle tend à lever les appréhensions à l'égard de la sobriété foncière pour la rendre désirable.
Quelle est la légitimité de ce désir de pavillon, de lopin de propriété, ancré dans l’imaginaire habitant ? S’agit-il d’un désir de consommateur ou le résultat d’un marketing profitable aux acteurs de la construction et de la consommation foncière ? 

Six exemples analysés donnent de bonnes pistes pour convaincre de l'utilité et nécessité de poser l'intensification urbaine comme moteur désirable de la sobriété foncière : 
- Luisant, ZAC du cœur de ville, maîtrise d'ouvrage SAEDEL : Phasage et temps long, stratégie urbaine globale, mixité de programme
- Mignières, cœur du village, maîtrise d'ouvrage SAEDEL : Réutilisation de bâti ancien, préservation de terres agricoles, identité de « ville à campagne »
- Saint-Gilles, PNRQAD du centre ancien de Saint-Gilles, maîtrise d'ouvrage ville, SAT, bailleurs : Patrimoine, PNRQUAD, espaces publics
- Velizy-Villacoublay, aménagement du quartier Louvois – ANRU, maîtrise d'ouvrage ville et CITALLIOS : Sol naturel, continuités paysagères, projet global
- Izinzac-Lochrist, réhabilitation urbaine du centre-ville, maîtrise d'ouvrage ville : Rivière, friche industrielle, dépollution des sols
- Brétignoles-sur-Mer, aménagement du centre bourg, maîtrise d'ouvrage ville : projet global, ceinture verte, redynamisation du centre-ville. 
 

Propositions pour une stratégie de sobriété foncière : régénérer les villes

Le groupe de travail recommande de viser un équilibre quantitatif, qualitatif et spatial dans les villes fin de régénérer celles-ci, au travers des dispositifs suivants : 

En termes quantitatifs, mettre en place un inventaire fin de l’ensemble des espaces pouvant accueillir des logements, des activités, des commerces, des équipements ou des aménagements. 
Pour évaluer les besoins, 
- s’appuyer sur un ratio « surface consommée pour les logements / évolution de population », et « surface consommée pour les activités et commerces / évolution du nombre d’emplois » ; 
- prendre en compte le réservoir constitué par les espaces de voiries et les grandes surfaces ;
- prendre en compte des indicateurs d’espaces verts dans les villes et leur répartition, en faveur de la santé. 

En termes qualitatifs, la préservation des terres agricoles riches nécessite une évaluation de la qualité des sols plus fine que selon son seul aspect « artificialisé ou non », évalués selon leur fertilité et leur perméabilité, pour définir ainsi cinq catégories de sols (sol vivant de bonne qualité/ sol vivant peu fertile/ sol imperméable, peu fertile/sol perméable stérile /sol imperméable).

En termes d’équilibre spatial, il propose que la stratégie foncière s’inscrive dans la réalité physique du territoire, dans ses spécificités géographiques et culturelles :  prendre la figure paysage comme socle de la stratégie spatiale, renforcer la continuité des espaces de nature, organiser la répartition équilibrée des fonctions urbaines, renforcer l’attractivité. 
 

ZAN : Désirabilité, faisabilité, appropriation, les trois dimensions d’une sobriété foncière réussie

Pour dépasser les présupposés de professionnels maîtres d’œuvres tels que les nôtres, l’étude a été poussée plus loin en allant questionner les porteurs de projets, maires, aménageurs, maîtres d’œuvres opérationnels, sur les spécificités sociales, économiques et méthodologiques de ce type de projets de reconquêtes de friches. 

Elle s’appuie sur six exemples illustrant la diversité typologique des opérations cherchant à mettre en œuvre la sobriété foncière : 
- Deux projets de reconquête de centres historiques à forte vacance (Forcalquier-04, Avignon-84),
- Deux projets d’investissement de foncier libre en cœur de village, en zone tendue (Coudoux-13) et en zone non tendue (Volonne-04),
- Un projet de reconquête d’une friche hospitalière au cœur d’une grande ville (Toulon-83),
- Un projet de rénovation urbaine de quartier prioritaire (Marseille -13),
- (Il manquerait un exemple de reconquête urbaine de « zones »commerciales ou d’activités)

Elle fait la synthèse des retours d’expérience sur les questions suivantes : 
- la « désirabilité » pour les habitants et les usagers de ces nouvelles formes urbaines, aux différentes échelles de projet (le logement, l’immeuble, le quartier, la ville) 
- la faisabilité pour les opérateurs : nouvelles gouvernances, gestion de la durée, incidences et nouveaux montages financiers
- l’appropriation sociale d’une nouvelle densité urbaine

Les propositions concrètes en résultent, nourries par les retours d’expériences des six opérations : 
- 4 propositions sur la raréfaction du foncier disponible et ses effets sur le coût des opérations
- 2 propositions sur la sobriété du foncier agricole en secteur péri-urbain 
- 7 propositions sur les outils opérationnels mobilisables les plus adaptés et leur adaptation
- 2 propositions sur la question des coûts
- 3 propositions sur les questions spécifiques aux opérations de lutte contre la vacance en centre ancien
- 4 propositions sur les questions d’attractivité́ et désirabilité́ des logements issus d’opérations de sobriété́ foncière
- 5 propositions sur la question de l’appropriation

Un article à lire absolument dans le détail !!! 
 

La sobriété foncière pour des villes intensifiées ou intenses

L'analyse de la question de l'intensité (ou intensification) urbaine conduit aux conclusions suivantes :
- Le projet durable d’une nouvelle ville plus intense passe par une démarche de projet global.
- Le bon périmètre de projet est celui de l’échelle urbaine globale et du projet urbain dont la forme urbaine n’est qu’une des entrées techniques.
- Une approche par le paysage est sans doute une façon de rendre désirable la démarche d’intensité urbaine. En effet, aborder les questions urbaines par le paysage, allant au-delà du formalisme des formes urbaines, oblige à un regard de projet plus transversal sur l’économie, l’environnement et la sociabilité.

Les constats sont les suivants : 
- La perte d’identité territoriale, liée à la banalisation de la production urbaine, du lotissement standard ou des zones. diverses, entraine une paupérisation des paysages habités
- La recherche d’une forme urbaine est une approche trop sectorielle et mono-spécifique pour constituer une méthode de production d’un retour désirable à la densité urbaine.
- La densité bâtie, si elle n'est ramenée qu'à des coefficients traduisant souvent des prospects, est une approche arithmétique qui oublie de mesurer le désir d’être ensemble en un lieu ou les capacités de celui-ci à apporter des qualités pour vivre ensemble.

Rendre désirable l’intensification urbaine nécessite de mieux comprendre et de communiquer davantage sur les conséquences malsaines de l’étalement urbain pour ainsi créer un désir partagé de retour à la ville, à la centralité et une motivation collective à agir ; réhabilitant le collectif par rapport à l’individuel, réhabilitant les valeurs patrimoniales. 
(Autrement-dit, valoriser le patrimoine ne doit pas être uniquement l'apanage d’investisseurs. Le cadre de la loi Malraux alliant défiscalisation et plaisir de sauver du patrimoine culturel pourrait être rénové et étendu.)

Si la qualité d’un paysage est la résultante des équilibres durables entre les facteurs économiques, sociaux et environnementaux, il faut penser la ville par l'approche du paysage en tant que façon de développer un mode de projet transversal et inclusif.
L’approche des projets territoriaux par la recherche d’un paysage équilibré est donc théoriquement et pratiquement une garantie de développement plus durable, d’intensité urbaine plus équilibrée et de transition écologique en acte. 


Propositions d'évolution des missions de conseils de l'État au regard de l'objectif ZAN

La mise en œuvre des réponses en termes de projet à l’objectif du ZAN transforme les priorités d’actions et les relations de travail et de partenariat entre les services déconcentrés de l’État et les acteurs locaux de l’aménagement des territoires, à toutes les échelles. 
Elle met les services de l’État et leurs conseils face à de nouvelles missions et relations de travail, faisant surgir la nécessité d’une mission d’appui et de conseil aux différents niveaux des collectivités territoriales en charge des projets d’aménagement. 

Les conseils pourraient être mobilisés sur différents niveaux d’interventions nouvelles et auprès de nouveaux acteurs :
- Développer avec les services décentralisés des missions d’arpentages de terrain à partir du repérage des secteurs potentiellement densifiables afin d’apporter in situ une expertise de concepteurs mesurant les potentialités de densification d’un territoire.
- Proposer aux collectivités et à leurs outils opérationnels une mise à disposition des conseils pour participer à l’inventaire des potentialités d’intervention foncières en secteurs bâtis : friches, densification potentielle, espaces et bâtis mutables, etc.
- Intégrer les conseils aux outils de pilotage des projets mis en œuvre dans le cadre du fond friches,
- Intégrer les conseils dans la mise en place de commissions de travail départementales pour la mobilisation de friches urbaines,
- Intégrer les conseils aux processus de dialogues avec les conseils régionaux dans le cadre de l’élaboration ou de la révision des SRADDET. 

 

Les contributions des PCE

Les articles proposés par les paysagistes-conseils de l'État dans le cadre de cette étude ont été validés par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. 

Les articles proposés par l'APCE